Pages dans le nouveau Gorgonzola

Je viens de recevoir mon exemplaire du 21è numéro de Gorgonzola. J’y signe une brève histoire en quatre planches. Et je ne m’ébats pas seul sous la superbe couverture de Victor Hussenot: Léo-louis Honoré et Cléry Dubourg, Rémy Farnos, Comérode, Pedro mancini, Jeneverito, Troche, Alex Baladi et Léo Quiévreux, Pascal Tessier, Simon Hureau, Marko Turunen, J. et E. LeGlatin, Thiriet, Olivier Texier, Yvang et David Amram sont de la partie. Enfin le dossier de ce numéro est consacré à Nicolas Mahler, avec des études et hommages signés Maël Rannou, Jean-Dominic Leduc, Jimmy Beaulieu, Jyrki Heikkinen et LL de Mars.

Gorgonzola n°21, 8 euros, infos et commande sur le site de l’Egouttoir.

21

Les monstres d’Amphitrite, making-of d’une bande dessinée numérique (2) : Choix techniques

Pendant que vous étiez tous ou presque à Angoulême, j’ai préparé la suite de ce making-of, où l’on entre dans le vif du sujet. En essayant de ne rien déflorer de l’histoire, je vais exposer les différentes raisons qui m’ont menées à choisir l’interface du projet.

D’abord quelle est-elle, cette interface ? Hé bien il s’agit d’un prolongement de certaines expériences passées. On peut la décrire en deux points : 1. les cases apparaissent ou se remplacent successivement sur la page-écran, 2. le lecteur doit cliquer sur la dernière case apparue pour afficher la suivante. Ce fonctionnement reprend le principe du chapitre « Bricolage » de Prise de tête, à la différence qu’il n’y a jamais de vide (il y a toujours une case déjà affichée). J’en avais également fait l’objet du workshop consacré à la bande dessinée numérique que je co-animais avec Mr Pimpant lors de Cultures Maison 2013. Malheureusement, le jeu n’avait pas « pris », et seul trois strips avaient été réalisés collectivement suivant cette interface, dont celui-ci, qui ébauchait un début de quelque chose d’intéressant.

Aperçu de l'interface en gif animé.
Aperçu de l’interface en gif animé.

Plusieurs raisons ont concourru au choix de cette interface, et donc de cette forme (car comme je le dis dans ma thèse, la forme du récit numérique est son interface : c’est pourquoi je parle depuis lors de « récit-interface »).

1. La première des raisons n’est pas la plus avouable, mais fait néanmoins partie des facteurs qui influent sur la création. Quand on m’a passé cette commande, je n’avais absolument aucun projet numérique dans les tiroirs. Or, on m’a laissé le champ libre… ce qui est rare et précieux, mais qui tombait mal ! Je me suis donc orienté vers une forme à l’intérieur de laquelle je pouvais facilement improviser et qui me guiderait dans cette improvisation. De fait, je me suis donné une contrainte formelle pour la création (doublée d’une contrainte thématique, j’y reviendrai une autre fois).

2. Liée à la raison précédente, la seconde raison est également pragmatique : pour ne pas perdre de temps avec les soucis techniques, cette interface avait le mérite d’être simple à réaliser. De plus, j’ai pu la programmer en amont, de manière à être libre d’expérimenter. Cela m’a permis de faire plusieurs tests, et m’a amené, en retour, à intervenir sur l’interface et à la modifier pour mieux répondre au fond quand les contours de l’histoire ont commencé à se dessiner plus clairement. Au final, c’est un aller-retour incessant entre le fond et la forme. Cela ne me serait pas permis si je ne prenais pas la main sur la technique en programmant moi-même mes interfaces, alors que c’est ça qui est vivifiant !

3. Etant donné le contexte d’improvisation, il me semblait que c’était une bonne occasion pour travailler de manière plus approfondie sur le dispositif narratif que j’appelle « planche évolutive ». Comme mentionné ci-dessus, j’avais mis en place ce dispositif par deux fois, dans Prise de tête et pour le workshop de Cultures Maison. C’est quelque chose que j’avais – et ai – encore envie d’explorer. Je pense qu’il y a pas mal à faire…

4. Ce qui m’amène à la quatrième raison, qui porte sur un point précis. On pourrait très bien me poser la question suivante : puisqu’il s’agit juste de faire apparaître des cases successivement, pourquoi imposer au lecteur d’aller cliquer sur telle case, puis sur telle autre ? Pourquoi ne pas se contenter d’un clic ou d’une touche du clavier, bref, pourquoi ne pas se contenter de faire un turbomédia ? Question d’autant plus pertinente que le turbomédia est précisément le dispositif qui m’a conduit à parler de « planche évolutive » . La première réponse, c’est que je souhaitais ménager la possibilité de proposer des choix de parcours au lecteur à l’intérieur de ce dispositif, impliquant la possibilité d’avoir plusieurs cases cliquables simultanément. La seconde réponse réside dans le fait de faire circuler le lecteur dans la page non seulement avec le regard, mais aussi avec la main (sur la souris ou sur l’écran tactile). Je pense que l’on peut tirer quelque chose de cette possibilité « ergodique » en terme de narration. D’ailleurs, dans les premiers essais, l’interface présentait une carte en fond des cases (cf. gif animé ci-dessus) : le lecteur, en cliquant d’un bout à l’autre de la planche, circulait ainsi « physiquement » dans les lieux de fiction. (Depuis ces premières versions, j’ai éliminé l’idée de la carte, mais j’exploite d’autres façons les déplacements de la main.)

Enfin, dernier choix, et non des moindres, celui de la technologie. Une nouvelle fois, j’ai jeté mon dévolu sur la forme du site web, et en conséquence des langages afférents (html, css, php, javascript). A l’heure où on ne cesse de chercher un format standard pour la bande dessinée numérique et que l’on voit apparaître des applications dédiées, on oublie que cela fait plus de vingt ans que texte et image s’épanouissent parfaitement dans le site web. Je persiste à dire que la bande dessinée numérique n’a pas besoin d’autre « format » que le site web, qui allie souplesse de la page blanche et accessibilité sur toute plate-forme dans le navigateur!

Je crois que je n’oublie rien… Prochain billet : la programmation !

Les monstres d’Amphitrite, making-of d’une bande dessinée numérique (1) : Mot d’introduction

Pour démarrer cette nouvelle année, je travaille sur une nouvelle bande dessinée numérique, intitulée Les monstres d’Amphitrite. Il s’agit d’une commande de Médiatem, réseau des médiathèques des pays de Fayence et Saint-Raphaël. C’est donc un travail rémunéré. Ce n’est pas rien de le dire, d’abord car c’est la première fois que je serai rémunéré pour une bande dessinée numérique, et ensuite parce que la bande dessinée numérique cherche toujours son modèle économique et que cette absence de modèle a rendu les choses un peu délicates à mettre en place.

Je compte, durant les prochaines semaines, publier une série de billets, qui constitueront un making-of, en léger différé sur l’avancée réelle des travaux. Plusieurs raisons m’ont donné envie de me lancer dans un tel making-of. Et d’abord, c’est une idée qui m’est venue en voyant le making-of d’un turbomédia par les-auteurs-numériques, alias Hervé Créac’h et Frédéric Detez. Ce sont également toutes les discussions que je peux avoir régulièrement avec différents acteurs et/ou observateurs de la bande dessinée numérique sur la place de la technique dans la pratique de l’auteur qui m’ont donné envie de partager mon expérience concrète.

illu-billet01

Evidemment, pour moi qui vise à la conception d’interfaces propres à chaque récit, l’aspect technique est central. Le codage fait intégralement partie de la création d’une bande dessinée numérique. La technique est également centrale dans la mesure où j’en fais souvent – et c’est encore le cas dans ce projet – une contrainte de création.

Je souhaite donner un aperçu de la manière dont tout cela s’agence dans mon travail, qui ne connaît pour ainsi dire pas de frontière entre les phases d’écriture, de dessin et de développement. Les trois s’influent mutuellement au cours de la création, et je ne tiens donc pas d’échéancier qui feraient se succéder les différentes étapes : à tous moments, je peux intervenir sur chacun de ces trois niveaux, et je ne m’en prive pas.

Il y sera question d’improvisation également, et de la façon dont je tente de l’exploiter dans ce nouveau projet. Cela me donne un bel avantage pour ces billets à venir : je n’en dirai pas trop sur l’histoire car je ne la connais moi-même encore que très partiellement ! (Cela me donnera aussi très certainement des raisons de disserter sur les impasses que je rencontrerai immanquablement…)

Je vous dis donc à bientôt pour le second billet de cette série, qui sera consacré aux raisons qui ont guidé les choix concernant l’interface.