Les Monstres d’Amphitrite, making-of d’une bande dessinée numérique (7): Le retour du code!

Septième et avant-dernière partie de ce making-of et qui signe… le retour du blabla sur le code ! Il faut en effet oublier mes deux autres billets consacrés au code (billet 3 et billet 4)… Ou plutôt : il ne faut pas oublier les propos que j’y tiens mais le code que j’y présente car… ô douloureuse surprise, j’ai découvert en cours de réalisation du projet qu’il ne fonctionnait pas en conditions réelles ! C’est mon absence éhontée de logique qui m’a perdu dans les conditions de passage au chapitre ou à la case suivante. Bref, le seul code valide est celui que je présente aujourd’hui, tel qu’il est utilisé actuellement par le site.

Outre partager l’intégralité du script principal qui gère le fonctionnement des Monstres d’Amphitrite, je voudrais aussi poursuivre l’approche pédagogique des précédents billets. Après avoir retracé les opérations mentales de mise en place du code, j’aimerais continuer de développer ma réponse à la question « je comprends rien en informatique, comment ça marche tes trucs ? » Toujours à mon niveau de petit bricoleur, je tente ci-dessous d’expliquer ce que je comprends de ce qu’est un programme informatique à tous ceux qui n’en ont pas la moindre idée ! Vous me direz si le pari est relevé…

Petit mode d’emploi de ce billet : j’introduis plus ou moins longuement chaque partie de mon script, puis le script lui-même est truffé de commentaires (en orange) qui le détaillent ligne par ligne.

C’est parti !

L’objectif principal du programme est d’afficher la bonne case au bon moment au bon endroit au fil des clics du lecteur, et le faire changer de chapitre s’il y a lieu. Il va également déclencher divers événements annexes telles que le clignotement des contours de case. Pour assurer ces missions, le programme doit en permanence savoir « où on en est », c’est-à-dire quelle case est affichée à l’instant t, quelle sera la suivante, etc. A chaque clic du lecteur, ces paramètres évoluent. Pour le programme, ce sont des valeurs qui varient dans le temps de l’exécution : des variables. En premier lieu, on initialise les variables principales du programme : certaines se voient attribuer une valeur de départ qui changera au cours de l’utilisation, certaine se voient attribuer une valeur qui ne changera pas, enfin certaines sont encore vides et ne se verront attribuer de valeurs qu’ultérieurement au cours de l’utilisation. Pour les Monstres d’Amphitrite, nous avons besoin des variables suivantes :

var count = 0,//compteur de cases: indique le numéro de la case en cours à l'instant t
//
//tableau des listes de cases indiquant leur ordre d'activation et d'affichage 
successif pour chaque chapitre:
strList = [
   ['B A B A B A B A B C D'],
   ['B B A A A B D D B A B C A C D A B C D D D'],
   ['A A D B A B D C D B A A B D'],
   //choix multiple chapitre 3, une liste pour chacune des deux branches possibles:
   ['B B A C D B A D A D A D A D B D B D B D B D B D B B B B A B B A A A A B A B A 
   A A A A A A B B B A C D',
   'A A B B B D D D D C C C C A A A A B B B B B D D D D C C C C A A A A B B B B D 
    D D D C C C C A A A A B B B B D D D D C C C C A A A B B B D C'],
   //
   ['A A C C C D D D A C A D C D D B B D D A A C C C D C C C B A C C D'],
   ['A A A C A C A C A C A C B D B D B D B B B B D B D B D B D B D']
],
//
order = [],//servira le moment venu au stockage provisoire en mémoire de la liste 
de cases du chapitre en cours à l'instant t
img,//servira à stocker un objet image
choice = 0,//initialisation du nombre de choix de parcours possibles, par défaut zéro
timer;//sera utilisée pour les clignotements des cases
 

Le programme comporte ensuite un certain nombre de fonctions, c’est-à-dire plusieurs séries d’instructions qui vont être exécutées (ou « jouées », si on veut) à divers moments de la lecture, soit en fonction de la valeur de telle ou telle variable, soit en fonction d’une action du lecteur sur l’interface. Chaque fonction pourra être exécutée autant de fois que nécessaire durant l’utilisation.

Une première fonction va permettre d’adapter la taille des cases à la taille de la fenêtre du navigateur. Cette fonction va être déclenchée une fois au début de chaque chapitre, et également à chaque fois que le lecteur redimensionnera la fenêtre du navigateur. Rien de bien sorcier dans cette fonction : le programme récupère les dimensions de la fenêtre, puis il recalcule proportionnellement les dimensions des cases. Ce calcul se fait en deux temps et nécessite l’utilisation d’une condition : si la fenêtre est plus large que haute, les cases seront redimensionnées selon un premier calcul, si la fenêtre est plus haute que large, elles seront redimensionnées selon un second calcul. Comme les mots-clés des conditions sont en anglais dans ce langage (if…else), c’est plutôt facile à comprendre:

function redim() {
    //
    //récupération des dimensions de la fenêtre, moins les marges et menus:
    var largeur = $(window).width();
    var hauteur = $(window).height()-45-$('#footer').height();
    //
    //calculs des nouvelles dimensions des cases:
    if (largeur >= hauteur) {//si la fenêtre est plus large que haute
       var htrCase = hauteur*45/100;//nouvelle hauteur des cases = 45% de la hauteur 
       de la fenêtre
       if (htrCase>=400) {
          htrCase = 400;
       }//hauteur maximale des cases limitée à 400px
       var lrgCase = htrCase*500/400;//nouvelle largeur des cases proportionnelle à 
       la nouvelle hauteur
       $('.strip img')
       .css('height', htrCase)
       .css('width', lrgCase);//application des nouvelles dimensions à l'image
    } else {//ou (si la fenêtre est plus haute que large)
       var lrgCase = largeur*45/100;//nouvelle largeur des cases = 45% de la largeur 
       de la fenêtre
       if (lrgCase>=500) {
          lrgCase = 500;
       }//largeur maximale des cases limitées à 500px
       var htrCase = lrgCase*400/500;//nouvelle hauteur des cases proportionnelle à 
       la nouvelle largeur
       $('.strip img')
       .css('height', htrCase)
       .css('width', lrgCase);//application des nouvelles dimensions à l'image
    }
}
//
$(window).resize(redim);//exécution de la fonction redim() lors des redimensionnements 
de la fenêtre par l'utilisateur

La fonction qui suit n’est exécutée qu’une seule fois au début de chaque chapitre ; c’est pourquoi je l’ai appelée init(). Elle sert à assurer le bon affichage de la page et à définir certains paramètres propres au chapitre qui commence et que le programme a besoin de connaître (encore des variables !). Elle active enfin le clignotement de la première case cliquable et le préchargement de l’image suivante en exécutant ou appelant des fonctions que l’on va voir après.

function init() {
    //
    redim();//exécution de la fonction redim()
    //
    //définition du nombre de choix de parcours possibles pour les chapitres concernés:
    if (seq==2) {//note: la variable seq indiquant le numéro du chapitre en cours est 
    définie dans un autre fichier 
       choice = 2;
    }
    // 
    //récupération de la liste de cases correspondant au chapitre en cours 
    parmi les listes établies auparavant:
    order = strList[seq][folder].split(' ');//note: la variable folder indiquant le numéro
    du sous-dossier contenant les images est définie dans un autre fichier
    //
    $('#'+order[count])//définition de la case active...
    .css('cursor', 'pointer')//...des pointeurs de souris correspondants (la souris se 
    transforme en main quand on survole la case active)...
    .on('click', next);//...et appel de la fonction next() permettant le passage à la
    suite lors du clic
    preload(count+1);//préchargement de la case suivante
    //
    // clignotement de la case active:
    $('#'+order[count]).addClass('anim');//ajout d'un élément permettant au programme de 
    reconnaître quelle case est active et doit clignoter
    wink(100);//appel de la fonction wink(): le paramètre entre parenthèses indique 
    qu'elle sera jouée 100 fois 
    //
 }
 //
 init();//lancement du chapitre!

La fonction init() appelle notamment la fonction wink() qui assure le clignotement de la case actuellement cliquable. Il s’agit d’un changement de couleur progressif du contours qui est répété en boucle un certain nombre de fois afin de produire un effet de clignotement. Le nombre de fois que l’animation sera jouée est déterminée lors de l’appel à la fonction : j’ai choisi de la faire jouer 2 fois sauf pour la première case du chapitre ou en cas de choix multiples où elle est jouée 100 fois; afin de permettre au lecteur de se repérer en prendre ses marques, notamment quand la modalité d’interaction change soudainement de la convention fixée depuis le départ.

function wink(loop) {//le paramètre loop indique le nombre de fois que l'animation sera jouée
   //
   //définition d'une animation en boucle:
    //
    var j=0;
    //une fonction dans la fonction précise les instructions pour le clignotement:
    function anim() { 
       $('.anim')
       //la couleur du contours varie 4 fois de manière progressive sur une durée 
       de 100 millisecondes:
       .animate({borderColor:'#DDDDDD'}, 100)
       .animate({borderColor:'#000'}, 100)
       .animate({borderColor:'#DDDDDD'}, 100)
       .animate({borderColor:'#000'}, 100);
       j++;
       if (j<loop) { 
          timer = setTimeout(anim, 1000);//la fonction anim() est rejouée toutes les 
          secondes jusqu'à avoir été répétée le nombre de fois prévu
       }
    }
   anim();//la fonction anim() est déclenchée une première fois 
}

La fonction centrale sur laquelle tout repose est celle qui donne les instructions à suivre au moment où le lecteur clique sur une image. Faut-il afficher l’image suivante ou faut-il changer de chapitre ? Quelle image faut-il afficher à cet instant ou à quel chapitre faut-il passer ? Pour le déterminer, cette fonction vérifie les valeurs des variables qu’on a initialisées en début de programme, puis en actualise les valeurs après avoir effectué son travail. Ainsi, lors du clic, les variables changent de valeur et le programme saura toujours « où on en est » lors du clic qui suivra, etc. Une première série d’instructions fait en sorte de rendre « inactive » la case sur laquelle le lecteur vient de cliquer : logique puisque c’est la case suivante qui doit prendre le relais. Une seconde série d’instructions vérifie et assure les passage à la case ou au chapitre suivant et rend active la case qui doit le devenir.

function next() {
   //
    // "désactivation" de la case sur laquelle le lecteur vient de cliquer:
    $('.anim').removeClass();//retrait de l'élément permettant au programme d'identifier
    la case cliquée comme "active" 
    clearTimeout(timer);//arrêt du clignotement de la case cliquée
    $(this)
    .css('cursor', 'auto')//réinitialisation du pointeur de la souris sur la case cliquée
    .off('click', next);//désactivation du clic
    count++;//ajout de 1 au compteur de case 
    //
    //vérifications du remplissage des conditions requises pour passer à la case ou au 
    chapitre suivant et exécution des instructions en conséquence:
    //
    if (count>=order.length-choice) {//si le compteur de cases indique un numéro supérieur
    ou égal au nombre total de cases du chapitre...
       //
       //...alors exécution des instructions de fin de chapitre:
       seq++;//ajout de 1 au compteur de chapitres
       //
       if (choice>0) {//si le chapitre actuel se termine par un choix de parcours...
          //
          //...les x dernières cases affichées deviennent actives et clignotantes (x correspondant 
          au nombre de parcours possibles):
          for (j=0, i=count; i<=order.length; i++) {//pour toutes les cases concernées...
             $('#'+order[count]).addClass('anim');//...ajout d'un élément permettant au programme de 
             l'identifier comme "active"
             var a = '<a href="index.php?s='+seq+'&f='+j+'"/>';//...préparation d'un hyperlien vers
             la page correspondante...
             $('#'+order[count])
             .css('cursor', 'pointer')//...définition des pointeurs de souris...
             .wrap(a);//...et tranformation de la case en hyperlien
             count++;//ajout de 1 au compteur de cases
             if(j<choice) {
                j++;//répétition de ces instructions pour toutes les cases concernées
             } 
          }
          wink(100);//exécution de la fonction wink() pour 100 clignotements pour toutes les 
          cases concernées
          //
      } else {//sinon (= si le chapitre ne se finit pas par un choix de parcours)...
          //
          //...alors accès direct au chapitre suivant:
          location.href = 'index.php?s='+seq+'&f=0';
       }
       //
    } else {//sinon (= si le compteur de case n'indique pas un nombre supérieur ou égal au 
       nombre total de cases du chapitre)...
       //
       //...alors exécution des instructions d'affichage de la case suivante:
       //
       if (count>=order.length-choice-1 && seq>=strList.length-1) {//Si le compteur de cases 
          indique un nombre supérieur ou égal au nombre de cases du chapitre et si le compeur 
          de chapitres indique un nombre supérieur ou égal au nombre total de chapitres...
          //
          //...alors exécution des instructions de fin de l'histoire:
          $('#'+order[count]).attr('src', img.src);//affichage de la dernière image
          //
       } else {//...sinon...
          //
          //...affichage et activation de la case suivante: 
          $('#'+order[count]).addClass('anim');//ajout d'un élément permettant au programme 
          d'identifier la case comme "active"
          wink(2);//exécution de la fonction wink() pour 2 clignotements
          $('#'+order[count])
          .attr('src', img.src)//affichage de l'image suivante
          .css('cursor', 'pointer')//définition des pointeurs de souris
          .on('click', next);//appel à la fonction next() lors du clic sur la case active
          preload(count+1);//préchargement de l'image qui viendra après
       }
    }
 }

Il ne reste plus qu’une toute petite fonction : celle qui sert à précharger les images et qui a déjà été utilisée à plusieurs reprises :

function preload(i) {//le paramètre i indique le numéro de l'image à précharger
   img = new Image();//création d'un objet image
   img.src = 'images/SEQ'+seq+'/'+folder+'/'+i+'.png';//chargement de l'image dans l'objet image;
   le navigateur considère alors qu'il y a une image à charger dans le cache même si elle n'est
   pas immédiatement affichée à l'écran
 }

Si vous n’avez pas compris un traître mot de ce que je raconte, j’ai raté mon pari… Ne renoncez pas pour autant à la lecture du prochain billet: quelques remarques en guise de conclusion.

Les Monstres d’Amphitrite, making-of d’une bande dessinée numérique (6): Dessin

Sixième volet du making-of des Monstres d’Amphitrite avec un point sur le dessin, en deux temps : d’abord un retour rapide sur mon utilisation du pictogramme et ma pratique du dessin vectoriel, puis quelques points propres à ce projet.

La technique que j’emploie peut surprendre: je dessine en me passant totalement de la « gestuelle » traditionnelle du dessin, qu’elle soit celle du crayon sur le papier ou du stylet sur la tablette. J’utilise uniquement la souris, non pour tracer quoi que ce soit, mais, du bout du pointeur saisir, déplacer et modifier des tracés point par point. Mes personnages sont en réalité des squelettes, exactement comme on peut se figurer des squelettes de personnage en 3D, sauf qu’ils sont en 2D.

Course de squelettes...
Course de squelettes…

Au fil du temps et des bandes dessinées réalisées, j’ai tant accumulé de squelettes dans toutes les positions et d’objets et éléments de décor divers que je n’ai plus qu’à piocher dans cette réserve et à copier-coller à tout-va ! Quand cela est nécessaire, je crée de nouveaux pictogrammes. D’ailleurs, pour Les Monstres d’Amphitrite, il y a une quantité non négligeable de pictogrammes inédits !

Pictogrammes inédits réalisés pour Les Monstres d'Amphitrite.
Pictogrammes inédits réalisés pour ce projet.

Voilà pour ce qui était des généralités. Les Monstres d’Amphitrite voit apparaître certaines particularités de traitement. La première est évidemment le fait que la planche est en évolution permanente : tout le jeu de juxtaposition des cases ne se joue plus seulement dans l’espace de la page, mais aussi dans le temps de la lecture. Dans le billet précédent, on voit comment je procède pour le storyboard par empilement de post-it. Je fais un peu la même chose dans mes fichiers images. En réalité, un seul fichier par chapitre contient toutes les cases et combinaisons possibles du chapitre en question. Chaque case est dessinée sur un calque distinct (empilement). Je travaille la composition sur l’ensemble de la planche grâce à l’utilisation de quatre plans de travail, correspondant aux quatre emplacements prévus pour les cases (juxtaposition). L’outil « plans de travail » disponible dans cette version du logiciel a également un autre avantage considérable : chacun de ces plans de travail peut être exporté séparément. Je peux donc composer l’image sur l’ensemble de la planche et dessiner des formes chevauchant les cases tout en exportant séparément chacune des cases.

Deux exemples d'utilisation des calques (empilement) et des plans de travail (juxtaposition).
Deux exemples d’utilisation des calques (empilement) et des plans de travail (juxtaposition).

Deuxième particularité, l’usage de trames. C’est quelque chose qui est apparu il y a un peu plus d’un an dans mes bandes dessinées papier : je voulais redonner de la matière, de la texture à mes dessins, tout en conservant un côté mécanique. Quelque chose qui soit « crade », mais néanmoins machinique. Dans les Monstres d’Amphitrite, j’avais aussi besoin de masses dont je puisse me servir pour équilibrer la composition, dans la mesure où de nombreux déséquilibres apparaissaient dans les cases puisque je composais au niveau de la planche. Enfin, l’usage des trames permet de produire des effets « expressifs ».

Usage des trames.
Usage des trames.

Troisième et dernière particularité, l’inclusion d’éléments dessinés à la main. Cela fait maintenant un certain temps que j’introduis ici ou là des éléments dessinés à la main dans mes bandes dessinées. Ici, j’ai restreint cette utilisation aux emanatas et à la typographie. Cela rompt le côté mécanique pour un résultat plus expressif. Cela a été plutôt difficile à gérer puisque je ne me rappelais plus du tout de la manière dont j’avais réussi à résoudre le problème des effets d’aliasing dans un précédent projet. Du coup, je n’ai jamais pu trouver une façon de faire durable et j’ai changé pour chaque chapitre, avec un résultat assez aléatoire, qui ne me satisfait pas beaucoup…

Montage de quelques scans d'éléments dessinés à la main avec des crayons sur du papier.
Montage de quelques scans d’éléments dessinés à la main avec des crayons sur du papier.

Voilà en ce qui concernait le dessin. Les deux prochains billets vont clore ce making-of.

Les Monstres d’Amphitrite, making-of d’une bande dessinée numérique (5): Ecriture et storyboard

Après une longue interruption, voici enfin la suite du making-of des Monstres d’Amphitrite. Il me sera d’ailleurs plus facile d’en parler maintenant que le projet est sorti (si vous ne l’avez pas encore vu, c’est là!) sans craindre de trop en dévoiler. Dans ce billet, il sera question de l’écriture et du storyboard et, au-delà de ça, des différents phases que je traverse lors de la gestation d’un projet de ce type.

D’abord, il est important pour comprendre la suite de dire que la gestation du projet a démarré quelques mois en amont : dès l’automne 2015, j’ai testé des outils, en particulier la librairie jCanvas, excellent outil que j’ai finalement abandonné mais auquel je reviendrai très certainement. Et dès l’automne, j’ai commencé à réfléchir au projet, tranquillement, sans rien poser sur le papier. Durant cette phase, un problème a émergé peu à peu…

Avant de commencer, il faut aussi rappeler que j’ai prédéterminé en amont une interface bien particulière, que j’ai présenté dans le deuxième billet de ce making-of. En ce qui concerne les raisons de ce choix (improvisation, gestion du temps, parcours multiples possibles), je renvoie au même billet. Au final, je me trouve confronté à une contrainte forte : l’histoire, quelle qu’elle soit, devra s’inscrire dans ce dispositif particulier que j’appelle « planche évolutive ».

L’idée était de me laisser aller à l’improvisation à l’intérieur de ce cadre. Une première phase a donc consisté, sans véritablement savoir où j’allais, à storyboarder directement des séquences, encore non reliées entre elles. C’est une mise en scène très directe, très rapide, à grands coups de crayon, d’intuitions diverses. En voici quatre exemples au format gif animés :

Recherche pour une séquence introductive.
Recherche pour une séquence introductive.
Autre recherche pour une séquence introductive.
Recherche pour une séquence introductive.
Recherche pour l'apparition des monstres.
Recherche pour l’apparition des monstres.
Recherche pour l'apparition des monstres.
Recherche pour l’apparition des monstres. Ces deux derniers exemples préfigurent déjà largement la version définitive, avec cette lecture circulaire.

Dès les tous premiers instants de cette phase de recherche, le problème qui me travaillait dès le début de ma réflexion quelques mois plus tôt s’est fait plus insistant. Initialement, le projet devait consister en une adaptation de la légende du Lion de Terre et du Lion de Mer, qui donne une origine mythologique aux deux îlots du même nom au large de Saint Raphaël. Mais face à mon rapport douloureux à l’actualité et face à une déconfiture dans ma vie personnelle, cette idée me paraissait de plus en plus vaine : j’avais autre chose à raconter qu’une énième fiction. Dès lors, pour la première fois, le projet allait devenir en partie autobiographique, tout en conservant la trame originelle de la légende. J’avais envie de savoir, expérimentalement, ce qui allait se produire quand les événements précités entreraient en collision avec le scénario antique. C’est à partir de cette décision radicale que le projet démarre vraiment.

Parallèlement aux premiers storyboards, je peaufinais le code et faisais plusieurs bouts d’essai (je renvoie à nouveau au billet n°2 pour un exemple au format gif animé). Ce qui ressortait de toutes ces recherches ne me convenait pas mais je ne savais pas encore pourquoi. C’est là qu’intervient ce que j’appelle l’inspiration ou je ne sais quel genre de déclics. En l’occurrence, il en a fallu trois. Le premier concerne la forme : cette grille de 3×3 cases me posait problème. Elle complexifiait beaucoup l’écriture alors que j’avais peu de temps, et elle rendait la mise en forme du propos très mécanique. Le déclic soudain a consisté à resserrer à une grille de 2×2 cases : outre le gain d’efficacité, j’ai pu entrer pleinement dans des jeux visuels beaucoup plus poétiques. Le second déclic découle directement du premier : j’ai accepté douloureusemment de renoncer à « superposer » l’histoire à une carte du golfe de Fréjus, levant ainsi une énorme contrainte formelle. A noter que je m’étais fixé cette contrainte pour jouer avec la légende, qui explique que la naissance des deux îlots est due à Poséidon, qui aurait figé là les deux monstres. Le troisième déclic concerne l’histoire : tous les premiers jets disparates et les diverses idées restant encore à l’état de vue de l’esprit se sont soudainement assemblées de manière claire :

Un déclic en plein sommeil: au milieu de la nuit, je jette en quelques secondes sur le papier le fil rouge de toute l'histoire.
Un déclic en pleine nuit: je me réveille en sursaut, jette en quelques secondes sur le papier le fil rouge de toute l’histoire et retourne me coucher.

A partir de là, tout ne coule pas de source, mais le projet prend un rythme beaucoup plus soutenu. Je commence la réalisation des premières séquences dans leur forme définitive tout en continuant parallèlement le storyboard des séquences suivantes. Je bosse environ 12 heures par jour et boucle tout le projet en un peu moins de trois semaines (alors que la phase de gestation et les premières recherches décrites ci-dessus se font par micro-bonds disséminés sur environ six mois). J’inaugure un nouvel outil pour le storyboard : rien de tel que des post-it pour improviser librement ! Ils me permettent de jouer avec les jeux visuels et l’agencement des cases tout en facilitant grandement les repentirs.

L'ensemble du storyboard tient dans sept petits paquets de post-it.
L’ensemble du storyboard tient dans sept petits paquets de post-it. Ci-dessous, storyboard intégral en vidéo:

Je crois que les images sont assez claires. Les changements de couleurs de post-it trahissent les innombrables repentirs. Les post-it fluos sont issus de versions anciennes de certaines séquences et ont été recyclés dans les séquences définitives (c’est particulièrement net dans le passage du monstre blanc). C’est ce que je voulais dire quand je disais que tout ne coulait pas de source : je n’ai pas pu compter le nombre de versions de chaque séquence tant il y en a eu. Pour preuve :

Les chutes : toutes ces cases ont un jour fait partie d'une version des Monstres d'Amphitrite puis en ont finalement été exclues.
Les chutes : toutes ces cases ont un jour fait partie d’une version des Monstres d’Amphitrite puis en ont finalement été exclues.

Voilà tout pour ce billet. La prochaine fois, on parlera de dessin vectoriel !

 

Tables rondes et colloque à venir

J’interviendrai la semaine prochaine dans deux beaux événements de recherche.

Le mardi 14, je serai à l’ENSSIB de Lyon pour une Journée d’Etude intitulée Dialogue autour de la bande dessinée numérique. Elle réunira tous les contributeurs à l’ouvrage Bande dessinée et numérique, dont j’annonçais la sortie il y a quelques semaines. J’y animerai la table ronde « Questions de sémiotique » et participerai à la table ronde « Questions de création ». La journée d’étude est ouverte au public sur inscription préalable. Toutes les informations et accès au programme sur cette page.

Le jeudi 16, je donnerai une communication intitulée « De la jubilation de coder des récits-interfaces » lors du colloque Poetics of the algorithm à l’Université de Liège. Cet événement est également ouvert au public. Le programme, disponible sur le blog du colloque, est par ailleurs totalement incroyable!

Lecture commentée des Monstres d’Amphitrite

En attendant la suite du making-of, une nouvelle vidéo vient d’être postée sur la page de documentation autour des Monstres d’Amphitrite. Il s’agit d’une « lecture commentée », un peu à la manière des commentaires audio de réalisateurs sur les DVD. Vous pouvez donc la retrouver sur la page en question, mais je la poste également ci-dessous. (Je dois avouer ne pas avoir regardé le montage final.)

« Les Monstres d’Amphitrite » est en ligne!

Ma nouvelle bande dessinée numérique Les Monstres d’Amphitrite est en ligne ! Elle a été réalisée dans le cadre d’une commande par Mediatem – Réseau des médiathèques de Saint-Raphaël et Pays de Fayence dans le cadre d’un projet européen Erasmus+. C’est un récit assez court mais qui me tient à cœur dans la mesure où c’est, à ce jour, mon travail le plus personnel.

C’est par ici : Les Monstres d’Amphitrite

Une documentation autour du projet est également disponible sur le site de Mediatem à cette adresse. Cette page donne accès à un certain nombre de documents : interview en vidéo, présentation de la commande, résultats d’ateliers jeunesse, et bientôt commentaire de l’œuvre en vidéo. Bien sûr, le making-of entamé au début de l’année se poursuivra sur le blog dans les prochaines semaines.

N’hésitez pas à me faire part de vos remarques, notamment si vous repérez d’eventuels bugs. Bonne « lectacture » à tous !

 
logo